Docs du mois - septembre 2025 - Ce que cachent les papiers à en-tête /
Factures, devis, publicités, bons de commande… Votre boîte mail est sûrement envahie par ces documents que l’on reçoit au moindre achat effectué en ligne, qui sont venus petit à petit remplacer les courriers papier qui nous étaient auparavant remis. Oui, au XIXe et au XXe siècle, c’était votre boîte aux lettres qui débordait de ces papiers, comme peuvent en témoigner la médiathèque et les centaines de lettres à en-tête qu’elle conserve. De premier abord, ce sont des documents purement administratifs. Cependant, en se penchant un peu plus sur ces papiers, on découvre une mine d’informations sur des entreprises roubaisiennes aujourd’hui disparues. Nous vous proposons de faire un tour d’horizon de ce que ces lettres peuvent nous révéler.
L’en-tête de ces documents fait encart publicitaire pour l’entreprise. Il s’agit de mettre en avant un nom, une ancienneté, les médailles remportées, les produits vendus. Et si on peut se le permettre, on fait appel à un artiste lithographe pour représenter en dessin son produit phare, voire son usine entière. Ces dessins sont des témoins importants pour l’histoire de l’architecture industrielle. Par exemple, sur une lettre des établissements Motte-Bossut Fils datant de 1908, on trouve une représentation assez fidèle de leur filature de coton à Roubaix, où siègent aujourd’hui les Archives Nationales du Monde du Travail. Pour ce dessin d'en-tête, on fait en sorte que l’usine soit imposante, on montre les lieux en activité, avec des personnes qui passent dans la rue et de la fumée qui sort des cheminées et, si on possède plusieurs usines, on les représente toutes pour afficher sa réussite professionnelle et sa puissance industrielle.
Les lettres à en-tête sont donc des vitrines des entreprises et de leurs savoir-faire. Elles sont une aubaine toute particulière pour les imprimeurs qui peuvent, rien qu’avec leurs factures, montrer à leurs clients de quoi ils sont capables. L’imprimerie Sénécaut, en 1881, donne un avant-goût des types de caractères et des lignes fines et précises qu’elle sait restituer. Aujourd’hui, des en-têtes si chargés feraient grincer des dents n’importe quel graphiste.
Pour un devis, une facture, documents qui engagent les parties prenantes, il est important d’avoir l’air sérieux auprès de sa clientèle. Il faut donc faire attention aux fautes d’orthographe, d’autant plus sur les en-têtes, qui apparaîtront sur de nombreux exemplaires. La Maison Hannotte Frère se serait-elle trompée en annonçant se spécialiser dans les mécaniques « Jacquart » plutôt que dans les Jacquard ?
Avec ces documents, on peut aussi retracer l’évolution d’une entreprise, que ce soit à travers la succession des propriétaires ou par l’ajout de nouveaux services et produits. Ces modifications peuvent parfois être drastiques ! Ainsi pour la société J. Martin-Frémont qui en 1888 est une papeterie et en 1904 une fromagerie. Changement d’activité ou double casquette pour cet établissement ? Difficile à dire, mais ce sont quand même deux secteurs radicalement différents.
Si la majorité des entreprises portent le nom de leur propriétaire, certaines prennent une appellation pittoresque comme « Au Grand Cerf » ou liée au local comme la « Brasserie du Moulin », et d’autres établissements font des choix… originaux, telle que la « Pharmacie du Ver Solitaire ».
Une bonne partie des lettres que nous conservons ont pour destinataire la Ville de Roubaix, ce qui nous permet de savoir ce que la commune achetait et à qui. Par exemple, on retrouve une longue liste de livres fournis par la librairie Louis Mangez à la bibliothèque municipale en 1960, indiquant ce qu’on proposait à lire aux roubaisiens à cette époque.
Enfin, la ville recevait également des courriers de réclamation : la société Modern’ Exportation tente de négocier avec le service de la voierie pour ne pas changer son numéro de rue, ce qui serait préjudiciable à son commerce. La Maison Berniaux-Dendoncker, quant à elle, exige que ce soit une société roubaisienne qui s’occupe de l’éclairage des écoles publiques et non plus une société étrangère. D'autres ont hâte d'être payées. Comme quoi, même si la forme des correspondances a changé, les protestations et doléances perdurent !
Illustration ci-contre : RBX_MED_LBI_T06_L1_D161 – Motte-Bossut Fils, 1908. En-tête avec dessins d’usines.