Docs du mois - février 2024 - Le Carnaval à Roubaix /

Avec la chandeleur et mardi gras, le carnaval s’impose en février. C’est l’occasion de se déguiser, de se travestir, de chanter dans les rues, bref de s’amuser pour contrer les froides journées d’hiver. Mais saviez-vous qu'au début du XX^e siècle, à Roubaix, le carnaval était aussi fêté l’été ?

C’est en 1907 que la municipalité de Roubaix instaure cette tradition du carnaval d’été. Il donne lieu à divers défilés et festivités sur tout un weekend. Un évènement suivi par les roubaisiens et par de nombreux touristes venus de toute la région Nord et de Belgique.

Au programme de ce weekend festif, des défilés de chars, de musiciens, de troupes déguisées dans toute la ville, de la place de la Gare à la Grand’Place, en passant par tous les quartiers de Roubaix. Ces joyeuses équipes concourent pour des primes décernées aux plus beaux, aux plus originaux, aux plus décalés des costumes et processions.

Parmi les troupes étrangères, citons par exemple Les Brigands Calabrais de Bruxelles, Les Trois Frères Salvador de Saint-Omer, Auguste et son cheval comique de Valenciennes ou encore la Fanfare en ballade de Lens.

Les roubaisiens sont représentés par des groupes comiques comme L’cat est din l’horloge et l’humain din l’commode ou le Marquis Louis XV en gondole ; ou des associations locales comme Les Amis Réunis du Café Molière, le Racing-Club roubaisien ou Les Jardiniers de la Société des « Jardins Populaires » de Roubaix.

Parmi les lauréats du concours de char et de procession du Carnaval d’Eté de 1908, citons plusieurs défilés du plus bel effet :

Le Char de l’Astrologie, par le groupe Beaux-arts de l’Association des Anciens Elèves de l’Ecole Nationale des Arts Industriels, a été dessiné par Paul Philippe, peintre et président dudit groupe et exécuté par Alfred Sonneville. L’avant du char figurait une nuit étoilée quand les panneaux latéraux peints découvraient des personnifications de l’Etoile polaire, l’Afrique australe et l’Argentine. Le char était peuplé d’une jeune femme représentant une constellation, un globe terrestre flanqué d’un astrologue et d’un prophète chaldéen, deux nouvelles jeunes femmes représentant des constellations et la Reine des nuits en manteau d’hermine couronnée d’un diadème. Entourant le char, une troupe de 300 chanteurs et musiciens déguisés en astrologues avec leurs costumes allant du mauve au violet prédisaient l’avenir radieux de Roubaix.

Le Kiosque tunisien proposé par le Cercle orphéonique Les XL de Roubaix présentait une fanfare de 75 musiciens suivis de 5 cavaliers maures jouant de la trompette d’harmonie sur des chevaux arabes. Ce kiosque était une libre inspiration de celui de Sfax (ville portuaire de l’est de la Tunisie), tiré par 6 mules. Il se déclinait en blanc, rouge et bleu et était garni de tentures. Quatre jeunes filles personnifiant la Tunisie, la ville de Roubaix et la musique y prenaient place.

Le char de la Charité conçu par le groupe d’amis du café Loncke, lauréats du Carnaval d’été de 1907, proposait un arbre de Noël pour les enfants pauvres de la ville. Il était occupé par une jeune fille vêtue de blanc représentant la charité, portant un écusson aux armes de la ville. Une douzaine d’enfants entouraient l’arbre de Noël tandis qu’une quinzaine de membres vêtus de culotte, bas de soie et souliers vernis offraient des bouquets de fleurs au public en échange d’offrandes. Les fonds étaient récoltés en faveur des enfants pauvres de la ville, malgré les doutes de certaines mauvaises langues.

La Paix des Nations de la Coecilia roubaisienne présentait un globe terrestre sur pivot qui laissait apparaître des habitants de chaque partie du monde, passant leur tête par des ouvertures. Il était encerclé d’une troupe de chefs d’état grimés et d’une fanfare polyethnique. La Paix était personnifiée par une jeune fille vêtue de blanc au sommet du char, flanquée de deux anges, Amour et Humanité.

La vie nocturne n’était pas en reste, avec une soirée gymnique animée par les athlètes de la Société municipale La Roubaisienne. Des démonstrations de gymnastique ont ainsi attiré les curieux, massés autour d’un vaste podium sur le boulevard Gambetta, dans le prolongement de la place de la Liberté. Un bal populaire et des illuminations ont complété cette belle soirée.

En 1908, l’évènement est si populaire que les lecteurs de presse ancienne les plus assidus sauront trouver des lettres ouvertes adressées aux autorités, rédigées par des communautés de soldats en garnison à Douai demandant une prolongation de leur permission et des collectifs d’ouvriers demandant un congé pour profiter de la liesse populaire.

Les années suivantes n’ont pas connu de manifestations aussi spectaculaires, même si les carnavals d’été ont perduré quelques années. Par la suite, ils étaient couplés à la Fête des Fabricants et prenaient la forme de carnaval libre. Les autorités locales donnaient l’autorisation à tout un chacun de déambuler grimé ou déguisé au jour annoncé. La presse de l’époque déplore néanmoins que les carnavals d’été n’aient pu endiguer l’épidémie de « bougeotte » vers le littoral ou la campagne qui touchaient les roubaisiens aux beaux jours.

Illustration de droite : carte souvenir du Carnaval d'Eté de 1908. Lien vers la notice.